jueves, 29 de junio de 2017

le pays des mille lacs

La découverte d’Helsinki commence par son bâtiment le plus célèbre.



Difficile de louper la cathédrale, blanche et majestueuse, dominant la place du Sénat comme le Sacré-Cœur domine Montmartre. Elle est âgée de 150 ans, et est peut-être le bâtiment le plus connu du pays.


cathédrale Ouspenski ; un autre genre


Je quitte ma première ville du Nord par d’innombrables pistes cyclables ; j’en attendais pas moins.

Grâce à un topo-guide récupéré à l’office de tourisme, je rejoints la région des mille lacs par de sublimes routes à vélo, qui évoluent dans des paysages variant entre la forêt de pins, les champs de blé à perte de vue ou des lacs dont les rives sont aménagées pour la promenade ou les loisirs.







Au fur et à mesure de ma progression vers le nord la route prend une tonalité plus monocorde ; les immenses forêts de Finlande se traversent par de longues routes rectilignes au dénivelé jamais plat.
Après Rautavaara, la route 870 prend un aspect plus sauvage. Les rares maisons sont perdues au milieu de forêts sans fin qui recouvrent les collines et dissimulent les lacs.
De longues lignes droites se perdent à l’horizon, ondulant au gré des côtes et des descentes. Je ne suis pas encore en Laponie, mais la route m’y emmène déjà. Manquent plus que les rennes.

Une vraie route de cyclo-voyageur, ressemblant un peu à celle de mon entrée en Bosnie. « J’ai parcouru la Finlande de long en large, je n’y ai rien vu d’intéressant » m’avait prévenu le motard irlandais. C’est que la Finlande s’apprécie sans moteur et sans vitesse.

Les jambes commandent tout sur cette route. La tête suit.
Je suis dans l’instant, pas ailleurs. Il n’y a pas d’ailleurs. L’esprit reste figé sur la ligne jaune. Route très américaine s’il en est, qui monte chaque jour un peu plus haut, semblable à celles qu’ont tracées les pionniers dans leur quête insatiable de l’ouest.
Moi, c’est le nord qui m’aimante.


lac de Kovajärvi

chutes de Jyrävä


Deux étapes dépassent les deux cent kilomètres. Depuis plusieurs jours, le soleil ne semble plus vouloir dormir. Des immenses parachutes invisibles freinent sa course en le tenant pendant longtemps au dessus de l’horizon. Il fait ainsi jour pratiquement tout le temps.

Je croise bientôt mes premiers rennes, qui évoluent en semi-liberté dans ces espaces infinis et sauvages. Je suis dans le pays des Sames, le dernier peuple indigène d’Europe, et je me faufile entre leurs montagnes sacrées, les « tunturits ».

tunturits

montagne sacrée Pyhatunturi

La Kitinen


lac d'Inari



A Inari je clôture en beauté mon séjour finlandais tout en visitant le musée sur les Sames et en apprenant un peu plus sur leur culture.

Les Sames sont le seul peuple indigène de l’Union européenne ; c’est-à-dire qu’ils descendent de population qui habitaient le pays à l’époque où il fut colonisé par d’autres peuples venant du sud de l’Europe.
Ils habitent le nord de la Scandinavie, répartis entre la Laponie norvégienne, suédoise, finlandaise, et une petite partie de la Russie. Ils comptent une population de 75 000 habitants, la plupart implantée en Norvège. 9 000 habitent en Finlande, dont 40% seulement en territoire same.

Ce sont à l’origine des chasseurs, cueilleurs, pêcheurs, et ayant une petite activité agricole. Ils chassaient le renne sauvage, qui leur assurait l’essentiel de leur existence : nourriture et surtout vêtements (l’analogie avec certains Amérindiens et la chasse du bison est assez frappante).  La semi-domestication et l’élevage du renne remonte au 13ème siècle, sur un modèle emprunté aux fermes scandinaves éleveuses de moutons.

C’était un peuple nomade, suivant les troupeaux de rennes, avec un habitat fait de tentes (appelées « kotas », dont quelques unes sont présentées au musée en plein air). Mais la fermeture des frontières avec la Norvège (1852) et la Suède (1889) a radicalement changé leur mode de vie.
Un système de barrières (« paliskunta ») a été créé pour séparer les troupeaux, et les Sames se sont sédentarisés, vivant d’abord dans des huttes en bois, puis dans des maisons modernes aujourd’hui.

Les jeunes rennes sont marqués à l’oreille avant d’être lâchés dans la toundra. Ils sont attrapés au lasso, et un Same leur coupe les deux oreilles selon un motif qui permet de les identifier en fonction de leur appartenance à une communauté, à une famille, et à une personne. Il existe
10 000 combinaisons de coupes possibles.
Pendant sa semi-liberté, le renne se nourrit de champignons et de 350 plantes différentes, ainsi que de lichen.
Sa chair est succulente. Je l’ai goûtée à un petit restaurant, servie avec de la purée et des myrtilles. C’est meilleur qu’un steak de veau.

J’apprends également beaucoup sur la faune et la flore vivant en Laponie : oiseaux migrateurs, lemming, renard arctique, hibou blanc, ours, glouton …

Le glouton est un animal singulier ; c’est un gros mustélidé plus rusé qu’un renard, plus petit qu’un ours, et plus dangereux qu’un cobra. C’est un charognard, mais il n’hésite pas à s’attaquer aux rennes (femelles et petits). Les éleveurs sont en principe indemnisés en cas de perte d’un animal, mais comme le glouton a tendance à arracher la tête de sa victime, il est bien difficile d’identifier la carcasse sans la présence des oreilles !
Il compte une centaine d’individus en Laponie finlandaise, mais il est surtout présent en Amérique du nord, où il est plus connu sous le nom de wolverine, et où il a donné son nom au héros de la saga « X-Men ».

Sont présentées aussi les différentes espèces de moustiques (appelés « räkkä »), dont certains s’attaquent exclusivement aux rennes.
Voilà ce que faisait mon premier renne, que je croyais agressif ; il essayait simplement de se débarrasser des moustiques en frappant sa tête au sol.


La culture Same est défendue depuis la deuxième moitié du vingtième siècle au sein du Conseil Same, et au sein des Parlements sames qui ont été créé dans chacun des pays scandinaves : défense de la langue, art pictural ou vestimentaire, musique traditionnelle, littérature, cinéma …


dernière descente vers la frontière

pays Baltes

Les trois pays baltes, Lituanie, Lettonie, Estonie, présentent une certaine unité géographique : ce sont des contrées de basses collines jalonnées de lacs.
Je m’engage à gauche dans le parc de Haanja par une superbe petite route à vélo qui m’emmène au point culminant de l’Estonie, le Suur-Munamagi (« grande montagne de l’œuf »), situé à 318 mètres d’altitude.
Les collines sont tellement arrondies qu’il n’y a pas de panorama au sommet.
La route est une succession de petites montées bien casse-pattes. Le paysage est magnifique : là un manoir, ici une église, plus loin un lac. La plupart des maisons ont leurs jardins entretenus comme en Autriche.
Et tout cela dans un écrin de verdure à en faire pâlir de jalousie un Breton.

dans les collines baltes


lac et église de Paluse


Plaani, église orthodoxe

lac de Rouge



Je suis en plein mois de juillet, et il fait bon s’y promener ; que ce soit dans les terres où au bord de la Baltique, l’atmosphère y est aux vacances tranquilles.

lac Peipsi


Vosu, au bord de la Baltique

Suurpea


Vilnius, avec plus d’une trentaine d’églises, fait office de centre religieux.
On trouve énormément d’églises (une bonne trentaine) de tous styles et de toutes époques : cathédrale gothique ; église baroque St-Casimir ; église St-Jean du 14ème s ; église orthodoxe au bord de la rivière ; église Ste-Anne, chef-d’œuvre gothique …
La synagogue a été construite en 1905 ; c’est la seule qui reste de la centaine d’autres qui existaient à l’époque où Vilnius était surnommée la Jérusalem du nord. 200 000 Juifs ont été exterminés sous l’occupation nazie.

église St-Casimir

église orthodoxe

église Ste-Anne


Tallinn, au nord, est une agréable capitale médiévale.
Tallinn fut une des villes les plus prospères de l’Europe du nord durant sa période germanique (jusqu’au 16ème siècle) ; de nombreux monuments témoignent de son opulence.
La ville médiévale est composée de la colline de Toompea (on y trouve entre autres le Parlement et la cathédrale orthodoxe d’Alexandre Nevski) dominant la ville basse (articulée autour de l’hôtel de ville gothique datant de 1371).

ville basse

cathédrale Nevski


Entre les deux, Daugavpils est plus industrielle (textile), alors que Tartu est un centre universitaire.

autour de Visaginas, centrale nucléaire

Daugavpils

Tartu


Les routes lettonnes me donnent du fil à retordre ; le bitume a la fâcheuse tendance à disparaître, laissant la place à des pistes de sable et de cailloux que mon VTC à la roue arrière en convalescence à bien du mal à négocier.



La Lettonie est un des pays les plus pauvres traversé jusqu’alors ; ses habitants se montrent très accueillants, malgré une certaine réserve.


A Tallinn je suis en avance sur mon timing ; je prends donc un ferry pour Helsinki avec l’idée de gagner le Cap Nord à vélo.

si c'est un homme...

Après les platitudes de la steppe hongroise, je trouve un peu de relief dans les collines entourant Eger.

débordements de la Tisza

un peu de relief

Eger



La pluie omniprésente pendant trois jours cesse lors de mon arrivée en Slovaquie. Les châteaux dominant le paysage sont magnifiques, et je quitte ce petit pays en apothéose par une belle rando cyclo-pédestre dans le massif des Tatras.

forteresse de Krasna Horka


château Andrassy

Dobsina

Poprad, au pied des Tatras

palace pour randonneurs de luxe

c'est aussi bien à vélo

Tatras


La Pologne présente plus de contrastes : la montagne au sud autour de Zakopane s’oppose aux plaines du nord, et la capitale Varsovie aux grands boulevards de style nord-américain détonne par rapport à Cracovie, de facture plus européenne.

autour de Zakopane

église de Graboszyce

la Vistule

Cracovie : Wawel

Kazimier Dolmy



Varsovie...
palais na Wyspie


rond-point de Gaulle

place du vieux marché


palais de la culture


forêts de Mazovie

la Biebrza

lacde Wigry




Le passage à Auschwitz, incontournable, reste inoubliable.

"le travail rend libre"


La visite s’effectue dans le camp de concentration. Les baraquements sont restés tels quels. Plusieurs d’entre eux sont aménagés pour permettre au visiteur de plonger dans le monde de l’abomination. Les photos sont interdites, mais tout le monde en prend. Je m’en contente de deux, et noircis plusieurs pages de mon carnet de voyage pour ne pas oublier les mines d’informations que cet endroit recèle. Je retranscris quelques notes, en espérant que ça ne fasse pas trop cours d’histoire.

Quelques chiffres d’abord. 1,3 million de gens furent déportés à Auschwitz, dont 1,1 million de Juifs, 150 000 Polonais, 23 000 Gitans, 15 000 prisonniers soviétiques.
1,1 million y trouvèrent la mort, dont 90% de Juifs.
A l’arrivée au camp, une sélection était opérée : 25% devenaient prisonniers ; les autres étaient massacrés. A la fin, le train menait les déportés directement à la chambre à gaz.
23 200 enfants et adolescents y furent déportés. La plupart furent gazés dès leur arrivée.

Les causes de la mort furent diverses : surmenage au travail et sous alimentation (la ration quotidienne était de 1500 à 1700 kilo calories pour 11 heures de travail) ; punitions sadiques ; fatigue extrême après être resté des heures debout lors d’appels interminables ; tortures ; expérimentations médicales ; exécutions arbitraires ; gazage quasi-systématique des femmes, des enfants et des vieillards lors de l’arrivée au camp.

Tous les documents personnels des victimes furent détruits. Les nazis gardèrent par contre tous leurs biens. Des tas d’objets ont été retrouvés à la libération du camp : valises, vaisselle, jambes artificielles, vêtements, jouets, chaussures.
Pour se faire une idée, des centaines de chaussures ont été rassemblées derrière une vitrine. Les nazis ont cru faire disparaître des milliers de victimes sans laisser de traces. Mais chaque chaussure représente une victime, toutes entassées les unes sur les autres.

Il y eut 700 tentatives d’évasion, dont 300 réussirent, permettant au monde extérieur de se faire une idée des atrocités perpétrées dans le camp.
Le Sonderkommando était une unité spéciale de prisonniers employés à brûler les corps morts. Ils furent les témoins directs de l’horreur du camp. Ils prirent des photos ainsi que de nombreuses notes qu’ils enterrèrent sous le sol.
A la libération, six manuscrits furent retrouvés, témoins directs de l’action des nazis.

Je n’ai pas le temps de tout visiter. Je termine par un baraquement consacré aux déportés français.
76 000 Juifs furent déportés de France sur 330 000. 3% seulement des déportés sont revenus des camps.

Une vidéo montre le témoignage de Karol Pila, déporté alors qu’il était enfant, d’abord dans un ghetto, puis ensuite à Auschwitz.
Dès son arrivée, il a compris que les camions transportant femmes, vieillards et enfants les emmenaient à la mort. Il s’est alors extirpé du convoi pour demander au commandant de l’envoyer avec le convoi des hommes destinés au travail. Pour s’en débarrasser, le comandant l’enferme dans une ambulance. Mais Karol en ressort en cassant la vitre, et revient vers le commandant, les mains en sang. Le commandant, las, l’assigne alors au travail, le sauvant ainsi du gazage.
Ironie du sort, le portail du camp porte l’inscription « Arbeit Macht frei » : « le travail rend libre ».

Il raconte également la torture. Un jour, un nazi lui pose une boîte sur la tête. Il sort son arme, et tire, pour s’amuser.
-          Je tire plus bas si tu veux ?
-          Je n’ai pas peur. Si ça vous amuse de tirer sur un enfant, ne vous gênez pas. J’ai rien à perdre. Personne ne va me pleurer. Mais si vous tirez vous le regretterez votre vie durant. Imaginez : tuer un enfant sans défense.
Et il s’en sortira ainsi, à force de courage et de ténacité.

J’ai témoigné avec plaisir, dit-il à la fin du document, car je devais le faire.

Pour finir, je retranscris ce texte de Primo Levi, lu dans un autre des baraquements :

« Si c’est un homme »

Vous qui vivez en toute quiétude
Bien au chaud dans vos maisons,
Vous qui trouvez le soir en rentrant
La table mise et des visages amis
Considérez si c’est un homme
Que celui qui peine dans la boue,
Qui ne connaît pas de repos,
Qui se bat pour un quignon de pain
Qui meurt pour un oui ou pou un non.
Considérez si c’est une femme
Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
Et jusqu’à la force de se souvenir,
Les yeux vides et le sein froid
Comme une grenouille en hiver.
N’oubliez pas que cela fut,
Non, ne l’oubliez-pas :
Gravez ces mots dans votre cœur.
Pensez-y chez vous, dans la rue,
En vous couchant, en vous levant,
Répétez-le à vos enfants
Ou que votre maison s’écroule,
Que la maladie vous accable,

Que vos enfants se détournent de vous.